Header Ads



les études berbères à Naples (Italie )

Francesco Beguinot

Francesco Beguinot (1879-1953) et les études berbères à Naples Francesco Beguinot est né en août 1879 à Paliano, près de Frosinone dans la région du Lazio. Il a ainsi été un contemporain des grands savants Hans Stumme et René Basset. Les études berbères, longtemps et injustement considérées comme une sorte de complément provincial de l’arabe maghrébin, se sont, depuis son époque, beaucoup développées. Francesco Beguinot aura largement contribué, par ses travaux et par son enseignement, à cette promotion des études berbères. La communauté scientifique lui doit beaucoup. Il fut le premier professeur italien de berbère qui ait encadré des études sur cette langue en Italie.
Cet engagement sera, sans nul doute, commémoré l’an prochain, en 2015, avec le Centenaire de la création de la chaire de berbère à l’Institut Orientale de Naples. Francesco Beguinot a, plus que quiconque d’autre à son époque, donné à l’analyse descriptive et à la dialectologie du berbère, la rigueur qui leur manquait encore et dont il avait fait l’apprentissage en explorant de nouveaux domaines. Avec cette étude, nous n’entendons pas seulement rendre hommage à la mémoire d’un professeur qui a servi pendant de très longue années, et presque jusqu’à son dernier jour, mais aussi a donné à ses écrits l’audience qu’ils méritent encore aujourd’hui, parmi les linguistes.

F. Beguinot, encore jeune, avait d’emblée montré une véritable passion pour les études philologiques. Il était encore dans ses premières années de lycée quand il entreprit l’étude du sanskrit. Après avoir obtenu son baccalauréat en 1898, il s’inscrivit à la faculté des sciences humaines de l’Université de Rome, mais sans cesser de cultiver les études orientales. Il étudia ainsi l’hébreu, le geez et l’amharique. En outre, il apprit l’arabe avec un prestigieux professeur, Celestino Schiaparelli. En 1901 il publia son premier ouvrage qui concernait la traduction améliorée et le commentaire de la « Chronique de l’Abyssinie abrégée », dont le texte avait été publié en 1881 dans le Journal Asiatique, avec une traduction et un riche commentaire par le grand orientaliste René Basset. Il reçut en 1904 un diplôme en lettres avec un mémoire qui portait sur les éthiopiens dans les sources grecques.

Beguinot poursuivit ensuite son étude des langues sémitiques malgré le temps que lui prenait sa charge de chef d’un service administratif auprès du Ministère de la Guerre.C’est à cette époque qu’il commença à s’intéresser au domaine de la linguistique. En même temps, il sentit le besoin d’ajouter à son savoir l’étude des langues sémito-chamitiques de l’Afrique du Nord et de l’Afrique de l’Est. Au cours de ces années, il publia plusieurs autres ouvrages. En 1910 il obtint le titre de professeur d’histoire et les langues sémitiques de l’Abyssinie auprès de l’Université de Rome. L’année 1910 a marqué un tournant dans ses études. En Italie, en effet, personne n’avait étudié spécifiquement les dialectes berbères, qui, on le sait, constituent l’une des trois branches de la famille chamitique avec les langues égyptiennes et couchitiques.

Francesco Beguinot était encore un jeune chercheur lorsque les études sémitiques et de berbérologie ont été introduites par Hans Stumme en même temps qu’une méthode d’analyse comparative fondée sur des correspondances phonologiques sûres entre les langues du groupe. Cette acquisition scientifique datait d’une centaine d’années pour les langues aryo-européennes, mais pour les langues sémitiques, ce progrès restait encore à faire. Pendant la période coloniale, les pays européens, l’Italie, la France, l’Espagne, l’Allemagne, etc., ont donné beaucoup d’importance aux langues et aux cultures des peuples du nord de l’Afrique. La connaissance de la langue a été un outil pour coloniser les peuples autochtones et, pour cette raison, la question relevait de la compétence des intérêts stratégiques des États coloniaux européens.

En 1910, le projet colonial en Libye de l’État italien avait conduit le Ministère des Affaires étrangères à organiser une mission archéologique en Cyrénaïque et en Tripolitaine, à laquelle où il avait été jugé utile d’ajouter un linguiste. Ce fut Francesco Beguinot qui fut choisi. Il quitta le service du Ministère de la guerre pour cette mission, et à partir de ce moment-là, il ne cessa plus de s’occuper des études berbères. Francesco Beguinot se trouvait en Libye dans les mois qui précédèrent le début de la guerre italo-turque. Ce fut donc dans des conditions particulières qu’il travailla à sa collecte de matériaux linguistiques. Au cours de l’été 1911, il résida à Zouara, une ville située sur la côte à 120 km à l’ouest de Tripoli – et près de la frontière tunisienne – pour y étudier le dialecte berbère local qui, jusque-là, était totalement inconnu aux berbéristes européens. On doit à Hans Stumme la création, en 1912 à Leipzig, de la première chaire d’études berbères en Europe. En Algérie, l’enseignement du berbère avait été institutionnalisé dès les années 1880, à l’École Supérieure des Lettres qui, en 1909, allait devenir la Faculté des Lettres d’Alger. On doit à cette Faculté la formation de générations de berbérisants, jusqu’à la période d’interruption qui suivit l’indépendance de l’Algérie. Les premières chaires de berbère furent occupées successivement par René Basset, André Basset et André Picard.

Le Maroc connut, quelques années plus tard, un processus parallèle avec la création de l’Institut des Hautes Études Marocaines à Rabat. Cette institution devait, elle aussi, former un grand nombre de praticiens du berbère, d’administrateurs, d’officiers-interprètes, mais aussi d’étudiants et de chercheurs en études berbères. Parmi les enseignants, les personnalités les plus marquantes furent
celles d’Émile Laoust, André Basset, Arsène Roux, Lionel Galand, Alphonse Leguil.

En France, l’enseignement du berbère ne fut officiellement instauré qu’en 1913 mais n’entra effectivement en pratique qu’en 1915. Sa base fut celle de l’École des Langues Orientales de Paris, devenu l’actuel Institut National des Langues et Civilisations Orientales, plus familièrement dénommé les « Langues’O ». La chaire de berbère a été occupée successivement par Edmond Destaing, André Basset, Lionel Galand, Alphonse Leguil et Salem Chaker. En 1914, une chaire de berbère fut également créée en Italie, à l’Institut de L’Orientale, et elle fut confiée au professeur Beguinot. En Espagne, un enseignement du berbère fut institué, à la même période, à Melilla.
Au cours des années suivantes, F. Beguinot se consacra aux études linguistiques mais il s’attacha également à étudier les coutumes et les traditions des populations berbères de la Tripolitaine. On lui doit des travaux qui aujourd’hui encore, sont essentiels pour la connaissance scientifique et des dialectes et de l’ethnologie des populations du Gebel Nefusa. En 1914, le Ministère des Colonies décida de créer à l’Institut Oriental de Naples une chaire de berbère. Le prof. Beguinot fut invité à Naples pour l’enseignement. Dans la même année, il reçut une lettre du ministre de la Guerre pour revenir à l’ancien emploi. Beguinot, qui avait commencé l’enseignement, ne voulait pas l’abandonner pour réprendre son ancien travail dans l’administration coloniale. Le Ministre de l’époque, S. E. Iervolino, lui envoya une lette en lui assurant que sa carrière ne devait pas être perturbée et il étudia un arrangement final .
À cette disposition du 1915 fut annoncé un concours pour la chaire de berbère et Beguinot devint professeur titulaire à l’Institut Oriental . À la suite, l’enseignement devint un des enseignements fondamentaux de l’Institut . la transcription des documents originaux qui décrivent toutes les
étapes du premier anniversaire de la création de la chaire de berbère à Naples. Je tiens à remercier le prof. Corrado Beguinot, fils de Francesco Beguinot pour les données biographiques qu’il m’a transmises. Je lui dois aussi d’avoir mis à ma disposition le matériel que je suis en train d’étudier et d’analyser.

En 1934, en collaboration avec le professeur Elio Migliorini Scarin, il participa à la sixième mission, organisée par la Société géographique italienne, pour l’exploration scientifique du Fezzan et de l’oasis de Ghat. Cette mission eut des résultats considérables. On doit, notamment, à F. Beguinot d’avoir produit une analyse approfondie de la toponymie figurant sur les cartes au 1/100.000° et au
1/400.000. On lui doit aussi la découverte et l’étude d’un nouveau dialecte de la langue berbère, celui du pays d’El-Fògaha. C’est, enfin, avec lui, que l’on a commencé à inventorier et étudier les milliers d’inscriptions rupestres en caractères tifinagh. Ces travaux donnèrent lieu à une publication, en 220 exemplaires, de F. Beguinot, où figurent des copies et des photographies d’inscriptions ainsi que des
reproductions de moulages d’inscriptions.

F. Beguinot consacra ensuite quinze ans de sa vie à la classification de ces inscriptions en tifinagh. Il espérait parvenir au déchiffrage et à l’interprétation de ces matériaux libyens anciens, avec l’idée d’une reconstruction d’un proto-berbère qui aurait pu servir de lien entre le proto-chamitique et le proto-sémitique. À propos de ses études sur le libyco-berbère, une anecdote intéressante est celle
qui Georges Marcy appelle « mésaventure » entre lui et F. Beguinot. Pendant le XIXe Congrès des Orientaliste tenu à Rome en 1935, F. Beguinot donna une communication en italien intitulée « Saggio d’interpretazione d’iscrizioni in tifinagh », où il aboutissait à des lectures identiques à celles de Marcy dans une Introduction consignée mais qui n’était pas encore publiée. Parmi les nouvelles hypothèses apportées par F. Beguinot, certaines sont dignes d’être remarquées. Ernst Zyhlarz, par exemple, écrit que F. Beguinot avait trouvé le rapport qui existe entre le berbère et le libyque anciens, en découvrant « eine figura etymologica » dans l’inscription n. VIII de Dougga.6 Cette hypothèse scientifique, malgré la rigueur des travaux de Beguinot, n’a pas pu être démontrée et les linguistes continuent à s’interroger, mais avec de forts doutes, sur l’existence de ce lien. Il n’en reste pas moins que les matériaux et les documents de travail, accumulés par F. Beguinot, et qui sont en grande partie inédits, constituent une masse de connaissances et d’analyses qui demeurent d’un intérêt considérable pour les études philologiques.

Beguinot avait une vision unifiée de la façon de mener des recherches sur le terrain et il était convaincu que l’étude de l’Afrique du Nord devait être considérée, par l’approche scientifique, comme un tout organique, de l’environnement à tous les autres aspects de la vie. Il a ainsi été à l’avant-garde de nombreuses études de synthèse qui se sont développées par la suite. G. Marcy, dans un numéro de la revue Hespéris donnait un compte rendu très remarqué de son manuel du berbère
du Jebel Nefusa : « Il serait vain d’espérer donner un aperçu complet des faits nouveaux et pleins d’intérêt apportés par l’étude du professeur Beguinot à notre connaissance dialectale du berbère; la clarté et la richesse de l’exposé, la précision d’une transcription très suffisante, qui note l’essentiel des nuances et de la quantité vocalique sans surcharger à l’excès la graphie, la réserve voulue par l’auteur soucieux d’apporter avant tout, non des théories mais du document de solide qualité, sont autant, de traits qui méritent à M. le professeur Beguinot la reconnaissance autant que les sincères
éloges des berbérisants ».

F. Beguinot a exercé les fonctions de directeur de l’Institut de l’Orientale de 1917 à 1921, puis de 1925 à 1940, enfin, de 1944 à 1947. Devenu ancien professeur, il poursuivit ses efforts pour bâtir de solides relations entre les faits et les données ethnologiques, culturelles, historiques, sociologiques, linguistiques.Ses écrits sont la preuve de cette persévérance et de cette vision. On doit, à cet égard, reconnaître la constance de sa recherche d’un équilibre entre les besoins de la spécialisation linguistique et les exigences d’une vision historique globale. Ce sont ces traits qui ont donné tant de charme aux écrits et aux conférences de Beguinot.
L’enseignement de F. Beguinot est, sans nul doute, à l’origine des études berbères en Italie. Ses très illustres élèves Gennaro Buselli, Tommaso Sarnelli, A. Castagnetti, Ester Panetta, Antonio Cesàro et Gino Cerbella ont publié des ouvrages sur le berbère et sur la dialectologie arabe maghrébine. Ses
contemporains, tels que Raffaele Corso et Umberto Paradisi ont publié des travaux sur la langue et les coutumes des berbères. Ses continuateurs, les Professeurs Antonio Cesàro, l’élève de F. Beguinot, et Luigi Serra qui a travaillé dans la région de Zouara, le premier champ d’étude de F. Beguinot, ont maintenu vivants l’enseignement et la recherche dans le domaine berbère sous ses multiples aspects langue, littérature, histoire, etc. Je suis moi-même honorée de m’inscrire dans cette prestigieuse lignée de scientifiques en même temps que mes collègues Mansour Ghaki et Ahmed Habouss. Francesco Beguinot a su maintenir de très bonnes relations avec d’autres institutions scientifiques européennes, avec les universités françaises et allemandes, mais aussi avec les institutions algériennes et marocaines. Une mention particulière doit être faite aux relations entre l’Institut l’Orientale de Naples et l’Institut International de l’Afrique de Langues & Cultures de Londres. Les relations entre ces deux institutions furent reprises dès avril 1944 alors que la Seconde Guerre mondiale était encore en cours, et Naples venait d’être libérée. Le témoignage nous en est donné par la correspondance de F. Beguinot avec le professeur Hanns Vischer.

Une bibliographie complète des écrits de Beguinot jusqu’en 1949 a été publiée dans le livre consacré au soixante-dixième anniversaire de l’Institut Universitaire de l’Orientale, mais sa bibliographie ne s’est pas arrêtée à cette date. D’autres publications ont en effet suivi, jusqu’à la dernière année de sa vie. On y trouve notamment des textes sur Les facteurs essentiels de la civilisation méditerranéenne, dans les Actes de la Conférence Internationale des études méditerranéennes (Palerme 1951, pp. 57-60); les Études sur l’épigraphie libyque touareg et les inscriptions en Italie au cours des quarante dernières années, en Libye (I (1953, pp. 83-90); les Éléments de linguistique en Afrique dans ses aspects géographique, historique et humaniste (Rome 1953, 50-57). Francesco Beguinot
est décédé à Naples le 2 Mars 1953 à l’âge de 75 ans.

Aucun commentaire

Fourni par Blogger.